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04/07/2012

Le nain et la prostituée

Pour la première fois, un Gouvernement en France prend une position abolitionniste en matière de prostitution et relance des débats qui n'ont jamais véritablement cessé depuis que Marthe Richard a profité de la Libération pour fermer les maisons closes (ce qui est à la fois logique et paradoxal). Ces débats peuvent être posés au plan philosophique, au plan politique, du point de vue de la santé ou de la morale, mais tel l'acier qui cherche l'aimant ils reviennent toujours in fine à des considérations juridiques. Interdire ou légaliser, pénaliser ou règlementer, quel que soit le choix qui sera effectué, il reviendra à la loi de fixer les bornes au-delà desquelles les comportements seront illicites. Faut-il interdire et se préparer à traiter les conséquences de toute prohibition ou bien faut-il banaliser et faire rentrer cette activité dans le champ du travail exercé à titre professionnel ? on peut se dire que tout sera sans doute mieux que le droit actuel  qui n'interdit pas la prostitution mais entrave son exercice, alors que par ailleurs il permet d'interdire le lancer de nain au nom de la dignité humaine. Vous ne voyez pas le rapport ? Explications.

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En 1991, un maire prend un arrêté interdisant le lancer de nain en discothèque au nom de la dignité humaine. En 1995, le Conseil d'Etat valide cet arrêté, et le Comité des Droits de l'Homme des Nations Unis juge en 2002 que cette décision n'est pas discriminatoire. Si aucun texte général n'interdit le lancer de nain, un arrêté peut l'interdire effectivement sur tout le territoire d'une commune. Il pourrait ainsi légalement ne plus avoir droit de cité en France. Il n'en va pas de même de la prostitution, un arrêté interdisant l'activité elle-même étant dépourvu de base légale. D'où les arrêtés municipaux, à Lyon notamment, qui interdisent le stationnement de camionnettes mais pas l'activité prostitutionnelle. Il faut donc considérer que le lancer de nain porte davantage atteinte à la dignité humaine que la prostitution. C'est d'ailleurs sur la notion de dignité humaine que se basent les abolitionnistes dont le moulin pourrait être nourri par l'eau du lancer de nain. A l'opposé, les tenants de la liberté individuelle et du droit de l'individu à disposer de son corps, ce qui explique le soutien de certaines féministes à la prostitution, réclament la légalisation, à l'instar de Marcela Iacub. Mais on trouve aussi parmi les légalistes les tenants d'un libéralisme économique qui voudraient que le contrat, librement consenti, soit toujours supérieur à la loi et voient d'un mauvais oeil l'Etat  annoncer qu'il va restreindre vos libertés afin de vous protéger contre vous même. Les abolitionnistes voient dans la légalisation le début de la marchandisation du corps et le premier pas vers la vente d'organes. Rappelons sur ce point qu'il y a une différence de nature entre un service, serait-il de nature sexuelle, et une atteinte à l'intégrité physique. S'il en était autrement d'ailleurs, le contrat de travail, louage de la force de travail, s'en trouverait automatiquement frappé d'illicéité.

On le voit l'affaire n'est pas simple, et nous vaudra sans doute des débats hauts en couleurs. Mais comme toujours en matière juridique, il faudra au final trancher et dire ou passe la frontière entre le légal et l'interdit. Et à propos de couleurs, pour faciliter vos méditations sur le sujet, voici les prostituées les plus célèbres de la peinture, remises au goût du jour, soit le Sud et l'Orient, notre avenir.

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27/06/2012

Vision globale

Les juges de la Cour d'appel avaient pourtant pris soin d'argumenter sur chacun des documents fournis par la salariée et sur chacune des contestations des décisions prises par l'employeur. Un travail analytique méthodique, pas à pas, de fourmi besogneuse et consciencieuse. Et cette analyse rigoureuse les a conduit à considérer qu'aucun des éléments fournis par la salariée ne permettait de caractériser un harcèlement moral. Déboutée donc. A tort selon la Cour de cassation qui invalide la méthode et le jugement. Un harcèlement global ne doit pas s'apprécier en évaluant la valeur probante de chaque pièce fournie par le demandeur mais par une analyse globale prenant en compte de manière simultanée l'ensemble des éléments produits. Exit l'approche analytique, vive l'art de la synthèse. Foin des loupes pour la vision rapprochée détaillée, vive la vision panoramique.

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La Cour de Cassation, dans sa décision du 6 juin 2012 énonce que les juges doivent considérer si l'ensemble des pièces fournies par un salarié, pris dans leur globalité, ne font pas présumer un harcèlement, en conséquence de quoi l'employeur doit prouver la légitimité des décisions qu'il a prises et que son comportement est étranger à tout harcèlement. C'est donc l'employeur qui doit s'expliquer pas à pas et non le salarié.

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Ce n'est pas la première fois que la Cour suprême considère que la charge de la preuve pèse sur les deux parties mais pas de manière idtentique. Au salarié de fournir suffisamment d'éléments pour que l'on puisse présumer un comportement fautif et à l'employeur de s'expliquer sur ce comportement.

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Ce rappel n'aurait pas du être nécessaire pour les juges du fond qui auraient pu se souvenir que l'opération juridique de base, la qualification des faits, suppose d'avoir une approche globale d'une situation pour déterminer s'il est possible ou non de la faire entrer dans une des catégories prévues par le droit. Que la méthode juridique constitue une sorte de mise en boîte de la réalité et que cette opération se réalise par une vision globale est un des charmes de la matière, pour qui a le goût des paradoxes.

22/06/2012

En vacances, lâchez-vous !

Vous avez fait des folies pendant vos vacances, de manière tout à fait inconsidérée, et n'avez su évitez l'accident, sans dire que vous l'avez provoqué.  Conséquence : un beau plâtre vous fera un souvenir à présenter à vos amis. Vous pourrez peut être également le faire dédicacer par votre employeur à qui vous allez annoncer qu'ayant eu une semaine d'incapacité de travail pendant vos congés (ne riez pas), il vous doit encore une semaine de congés payés. Devant son regard incrédule, expliquez lui que c'est la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) qui vient d'en décider ainsi. Vous n'êtes pas obligé d'ajouter un commentaire du style : "Et après on dira que l'Europe n'est que libérale et pas sociale". Vous pourrez juste le penser très fort.

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Romain Slocombe - Medical Art

La décision de la CJUE datée du 21 juin 2012, remet en  cause une règle de gestion traditionnelle de l'articulation entre congés payés et congé maladie. Conformément à un principe juridique solidement établi, les tribunaux français ont toujours considéré que le régime d'une absence était déterminé par la première absence, quoi qu'il arrive ensuite. Un salarié en congé maladie ne pouvait donc être en congés payés, même si la maladie se poursuivait pendant la période prévue de congés payés. Il fallait reporter les congés. Par contre, un salarié parti en congés payés qui tombait malade n'avait pas de droit à récupération de ses congés. Il avait pourtant droit aux indemnités journalières de sécurité sociale (qu'il cumulait avec son indemnité de congés payés). C'est cette inégalité de situation que la CJUE vient de dénoncer : le statut du salarié par rapport au droit à congés payés ne doit pas dépendre de la date à laquelle survient l'incapacité de travail. Dès lors, un salarié qui tombe malade pendant ses congés doit pouvoir rattraper les jours de CP perdus, s'il lui a été établi un arrêt de travail. Reste à trouver les médecins qui feront des arrêts de travail pendant les congés payés, mais gageons que cela ne sera pas insoluble. En avant ensuite pour la dernière  étape : annoncer à votre boss lors du retour dans l'entreprise qu'il vous reste des jours de congés à prendre. Bonnes vacances et bon retour !

CJUE - 21 Juin - CP et Maladie.pdf

14/06/2012

Tina or not Tina

Dans le dernier numéro d'Entreprises et Carrières, daté du 12 juin, un monsieur que je ne connais pas mais qui se nomme Jean-Pierre Basilien et dirige des études à Entreprise et Personnel, think thank patronal comme on dit, nous explique, ou plutôt nous rappelle que la France ne pourra éviter de libéraliser son marché du travail, trop rigide. L'argument est récurrent : trop de protection pour certains produirait une forte segmentation du marché, d'où le chômage, les CDD, les jobs mal payés et la société divisée en deux classes. Que l'on flexibilise (ces choses là sont dites élégamment mais concrètement cela signifie : que l'on puisse licencier plus facilement et à moindre coût) et tout ira mieux. Pas d'autres solutions vous dis-je, la saignée. C'est le retour de l'idéologie Tina (There is no alternative) popularisée par Margareth Thatcher. On peut laisser tomber et choisir de fréquenter d'autres Tina, par exemple Tina Fey qui poussa l'humour jusqu'à jouer au cinéma le rôle de Sarah Palin.

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Tina Fey - Vanity Fair

Puisque le sieur Basilien aime les rappels, autorisons nous celui-ci : la législation sur le licenciement en France date de 1973 et appartient donc aux trente glorieuses. A-t-on profité de la période pour élaborer des règles ultra-protectrices des salariés ? au contraire, avec un taux de chômage oscillant entre 3 et 4 %, on a considéré que le licenciement était un risque mineur. On a donc sanctionné l'absence de motif de licenciement par une indemnité égale à 6 mois de salaire : le préjudice ne pouvait être supérieur. Et il n'a jamais été question de réintégration, sauf dans les rares cas de nullité. La législation sur les licenciements économiques, plusieurs fois révisée dont la dernière en 2002, n'a pas modifié cet équilibre. Résultat : une entreprise peut licencier sans motif personnel ni économique dès lors qu'elle est prête à payer six mois de salaire. Voilà le prix du droit, à mettre en rapport avec la durée moyenne de chômage qui est de 13 mois. Ce qui conduit à 800 000 licenciements prononcés tous les ans, dont un quart donnent lieu à contentieux. Est-ce là une rigidité insupportable qui serait responsable tout à la fois du chômage et de la précarité. Avouons que l'on peine à le croire. Mais notre naturel nous invite à nous méfier de Tina, car l'on sait depuis Adam et Eve que l'on a toujours le choix, et à continuer à lui préférer Tina.

12/06/2012

Le provisoire ne dure pas

Au grand jeu de la Cour de cassation, chacun peut tenter sa chance, même sans garantie sur le résultat. Ayant sans doute en tête que les juges suprêmes n'apprécient guère les avenants au contrat de travail qui permettent, en augmentant provisoirement la durée du travail, de contourner les règles du travail à temps partiel, l'avocat a conseillé à son client de contester la validité d'un avenant au contrat organisant l'exercice provisoire d'une fonction complémentaire à son travail. En l'espèce il s'agissait d'effectuer les missions d'un salarié malade pendant le temps de la maladie, en sus de son propre travail. Un avenant a été conclu prévoyant une indemnisation supplémentaire du salarié pour la charge de travail et une fin de cette situation au retour du malade. Le salarié conteste cette possibilité de retour arrière : il a donné son accord au départ, il doit le donner également à la fin, sinon la situation doit perdurer. Erreur de jugement lui répond la Cour de cassation (Cass. soc., 31 mai 2012), l'avenant temporaire est parfaitement valable en matière de missions supplémentaires. Perdu.

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Plutôt que d'envisager le gain potentiel, le salarié et son avocat auraient du penser à ces sculptures de sable dont la période va bientôt revenir. Elles durent au mieux un été puis se fondent dans la plage et ne laissent guère de trace. Car ce qui est conçu pour être provisoire ne saurait devenir permanent. La beauté du provisoire est aussi dans l'instant, qu'il est vain de vouloir prolonger. Pour l'avoir oublié, le salarié se retrouve n'avoir bâti avec son contentieux que des châteaux de sable.

25/05/2012

Tolérer c'est demander

On connait la boutade de Clémenceau : "La tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour cela !". Et c'est une chambre, en l'occurence la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 13 mars 2012, n° 10-26.209), qui nous donne l'occasion de cette révision en rappelant, dans un énième conflit portant sur les heures supplémentaires, qu'il n'est pas nécessaire que l'employeur ait demandé la réalisation de ces heures. Il suffit qu'il ait pu constater qu'elles étaient réalisées et ne soit pas intervenu en vue de les interrompre, pour que l'on considère que cette tolérance traduit une demande implicite. Pas de tolérance dans l'entreprise donc : faute d'intervenir pour réguler les dépassements d'horaires d'un salarié, l'employeur sera tenu de payer des heures supplémentaires. Pas très tolérants avec l'employeur  les juges !

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Toulouse-Lautrec - Le salon de la rue des Moulins - 1894

Le principe selon lequel "la tolérance vaut demande" a déjà été utilisé par les tribunaux en matière de santé au travail : qui tolère qu'un salarié ne porte pas les équipements de protection individuelle pour travailler, par exemple, est considéré comme ayant demandé à ce que ces équipements ne soient pas portés. En d'autres termes, le juge estime qu'il est dans la nature de l'employeur de manager et que son abstinence est une coupable tolérance. Allez zou ! à la maison !

24/05/2012

Le prix de la faute

Le salarié n'a pas été très rigoureux : il a utilisé les outils informatiques du cabinet d'expertise comptable à son profit, ou plus exactement pour rendre service à un ami. Plus quelques autres manquements que l'employeur n'a guère appréciés. Résultat : licenciement pour faute lourde et prélèvement d'un dédit formation sur les sommes restant dues. Le salarié obtient de la Cour d'appel la requalification en faute grave, en l'absence de toute intention de nuire. La Cour de cassation en conclut dès lors qu'il n'est pas possible de faire payer le dédit-formation, la décision de licencier relevant de l'employeur et non du salarié. Alors que plusieurs Cours d'appel avaient des positions inverses, la Cour de cassation estime donc que la faute grave ne permet pas de réclamer le paiement d'un dédit-formation qui n'entre  pas dans le prix à payer pour la faute.

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Jean Béraud - Après la faute - 1890

Les clauses de dédit sont assujetties à quatre conditions : un accord écrit avant le début de la formation, une durée raisonnable au regard de la formation suivie, un engagement du salarié limité aux dépenses réelles de l'entreprise et un support de ces dépenses par l'employeur, ce qui suppose qu'il dépense plus en formation que son obligation légale et qu'il n'ait pas déjà été remboursé par son OPCA ou tout autre financeur. Il faut ajouter une cinquième condition, le fait que le salarié quitte volontairement l'entreprise, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il commet une faute grave. Certains y verront un moyen facile d'échapper au paiement d'un dédit formation en ayant un comportement que l'employeur ne peut tolérer sans pouvoir pour autant rapporter la preuve que ce comportement est du à la volonté d'éviter le paiement en ne démissionant pas (la preuve d'une volonté en ce sens  permettrait en effet de retenir la qualification de faute lourde - comportement ayant pour objet de nuire à l'employeur en vue d'échapper à une obligation - et de réclamer des dommages et intérêts). Ils n'auront pas tort mais ce sera le prix à payer par ceux qui estiment que l'utilisation de la contrainte juridique est un bon moyen de fidélisation des salariés.

Cour Cassation - Dédit Formation.pdf

15/05/2012

Déraisonnable (2)

Décidément, le Crédit Agricole n'a guère de chance avec sa convention collective et les périodes d'essai. Trois ans après avoir été condamné pour une période d'essai excessive d'une durée d'un an (voir ici), la banque des champs subit une fois encore les foudres du juge qui, cette fois-ci, juge excessive une période d'essai de 6 mois. Il faut dire que l'emploi n'était pas le même, en l'occurence dans l'affaire il s'agissait d'une assistante commerciale. L'entreprise avait procédé à une première évaluation, peu satisfaisante, de la salariée après 3 mois. Mais avait décidé d'aller au  bout de la période d'essai fixée à 6 mois en application de la convention collective. Louable mais injustifié pour le juge : la période d'essai ne peut servir qu'à apprécier les capacités du salarié et sa durée doit être totalement calibrée à cette exigence. Dès lors, six mois d'essai peuvent être considérés comme déraisonnables sur la base de l'emploi occupé.

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Ange Leccia - La déraison du Louvre

L'occasion également pour le juge de rappeler une fois de plus qu'il n'est pas tenu par les termes d'une convention collective et que les partenaires sociaux peuvent, dans leur grande sagesse, manquer de vigilance. Pour la Cour de cassation, il paraît évident que fixer la durée de l'essai en fonction de la catégorie professionnelle n'a guère de sens : c'est la réalité de la situation qui compte et la difficulté de réaliser l'activité confiée.

On pourrait se dire que cette décision va inciter les employeurs à se séparer encore plus vite de leurs salariés, sans prendre le risque d'un contentieux a postériori, à moins qu'au contraire elle n'incite à ramener les périodes d'essai à ce qu'elles sont, à savoir une mise en situation de travail qui permet d'apprécier la compétence du salarié.Pour le reste, il faut raison garder.

01/04/2012

6ème semaine de congés payés ?

Vu la date à laquelle l'annonce a été faite, on aurait pu penser à un plaisanterie. Mais la campagne électorale est peu propice à l'humour, c'est plutôt l'inverse si l'on en juge par les efforts que fait François Hollande pour rester sérieux face au destin. L'annonce a surpris jusque dans son camp et apparemment très peu de ses proches étaient au courant. Tous n'ont d'ailleurs pas très bien compris le sens de la manoeuvre. L'annonce par Nicolas Sarkozy d'un référendum, à l'image de celui qui vient d'avoir lieu en Suisse, sur l'octroi d'une 6ème semaine de congés payés n'était pas vraiment attendue. Pour le chantre du "Travailler plus" et le pourfendeur des 35 heures, annoncer une semaine supplémentaire de congés payés, cela n'allait vraiment pas de soi. On pourrait penser que, pessimisme économique et propension des français à voter non aidant, il s'agit d'un référendum purement tactique pour obtenir un non des français, ce qui légitimera l'ouverture d'un nouveau débat sur la durée du travail. Habile manière de proposer plus de congés avant d'en supprimer quelques uns. Mais non.

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Si l'on en croit les déclarations faites à la presse, il s'agirait d'une mesure de redistribution de la valeur ajoutée. Selon l'actuel Président "Qu'est-ce que le temps ? de l'argent ! aussi je proposerai aux salariés de gagner davantage de jours de congés payés ce qui relancera la croissance puisque dès que l'on ne travaille pas on consomme". Aux journalistes qui s'étonnaient de cette proposition, jamais évoquée précédemment, il a été répondu "J'ai décidé de couper l'herbe sous les pieds de Mélenchon quand j'ai vu le référendum en Suisse. Vous connaissez la lenteur légendaire de ce peuple que je respecte par ailleurs. S'ils ont besoin de moins de congés, c'est parce que leur rythme de travail ne le leur permet pas. En proposant une 6ème semaine de congés payés, je démontre que les français constituent le peuple le plus productif au monde par heure travaillée.". Si, comme la presse présente lors de cette déclaration, vous demeurez dubitatifs, peut être cet argument emportera-t-il votre conviction : "La contrepartie de la 6ème semaine de congés, sera que ceux qui veulent travailler pendant leurs congés seront autorisés à le faire. Cette interdiction a perdu son sens et il faut redonner de la liberté". Alors 5 semaines sans travailler ou 6 semaines en travaillant. Vous voteriez quoi ?

24/02/2012

Du sens des choses

Je me souviens d'un responsable d'un service formation qui prenait un malin plaisir à me citer des articles du Code du travail. Ce faisant, il pensait faire du droit. Il en connaissait plein. Il les savait par coeur et les utilisait souvent. La citation du numéro lui conférait un sentiment de toute puissance qui s'affichait largement sur son visage et que confortait l'impuissance de ses interlocuteurs à faire face à cette redoutable précision. Mais la précision extrême est une des stratégies possibles pour tenter de masquer l'incompétence. En réalité, jamais cet homme n'a fait du droit. Pour deux raisons. La première est que le fait de comprendre tous les mots d'une phrase ne garantit pas d'en saisir le sens. La seconde est que cette phrase ne s'éclaire peut être qu'au vu des intentions qui ont présidé à sa création mais également articles qui l'entourent et à quelques principes dans lesquels elle s'insère.

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Thomas Hirschhorn - Concretion

Aucun des éléments utilisés par Thomas Hirschhorn n'est incompréhensible : des mannequins, du ruban adhésif, des traverses de bois. Le sens de CONCRETION est-il pour autant évident ? et peut être faudrait-il prendre connaissance des 19 autres oeuvres qui ont été présentées lors de l'exposition CONCRETION pour donner un sens à cette troupe qui se rigidifie sous nos yeux. Car le durcissement, de la pensée, des relations, du monde, est la thématique proposée. Mais isoler un élément de son contexte rend plus difficile d'en saisir la signification.

La Cour de cassation a illustré cette exigence d'élargissement du regard pour la compréhension du sens dans une décision du 25 janvier 2012. Une salariée prend un congé parental le 1er février suite à un congé maternité, et envoie un courrier à l'employeur pour l'en informer le 7 février alors que le Code du travail prévoit une information un mois à l'avance. L'entreprise procède au licenciement pour absence injustifiée. A tort nous disent les tribunaux. La salarié remplissait les conditions pour bénéficier du droit au congé parental, qui était donc de droit, et avait informé l'employeur par d'autres moyens. L'envoi tardif du recommandé ne constituait donc pas une faute grave. Le manquement de la salariée à une exigence précise d'un texte n'est donc pas une faute dès lors que l'on redonne à ce texte sa véritable portée au regard de la finalité du droit et de son mode d'exercice. Pour qui veut véritablement comprendre le sens des choses, on conseillera donc non pas d'être imprécis, mais de préférer la vision globale à la vision à courte focale.

Cass Soc. 25 janvier 2012 conge parental.pdf

14/02/2012

Tout va bien, on se quitte ?

Les décisions de Cour d'appel s'accumulent en des sens opposés et la Cour de cassation devra bientôt trancher en posant une solution de principe : est-il possible ou non de conclure une rupture conventionnelle alors qu'il existe un litige entre l'employeur et le salarié ? La Cour d'appel de Riom a répondu par la négative en janvier 2011 estimant que lorsque le salarié est en litige avec son employeur, il ne peut librement négocier. Plus pragmatique, sans doute parce que plus au sud, la Cour d'appel de Montpellier a rappelé le 16 novembre 2011 qu'aucun texte n'interdit de conclure une rupture conventionnelle dans un contexte litigieux et que les débats parlementaires n'ont pas évoqué de réserve particulière  à ce sujet. De la position de la Cour de cassation dépend donc l'avenir de la rupture conventionnelle homologuée comme forme de séparation amiable.

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Edvard Munch - La séparation

Il n'y a que des juges, certains du moins, pour considérer que la rupture conventionnelle ne sera utilisée que dans le cadre d'une cordiale entente des parties : "Tout va bien entre nous, quittons nous". En réalité, la rupture conventionnelle vient souvent conclure une dégradation des relations ou constitue une alternative satisfaisante à une démission ou un licenciement. En vertu de quel principe interdirait-on aux parties de constater qu'elles ont des relations conflictuelles et que la meilleure solution est de ne pas les prolonger ? le seul contrôle que doivent exercer les tribunaux est celui de la volonté du salarié. Le consentement du salarié était-il libre ou non ? sachant que la loi organise tout le processus de rupture selon des modalités qui garantissent la validité de l'accord du salarié. Si l'on considère que tout litige constitue par principe et par nature une pression insupportable sur la volonté du salarié qui lui interdit de conclure un accord conventionnel de rupture, alors cela signifie que la volonté du salarié est entièrement soumise au rapport de subordination dès lors qu'il existe un conflit d'intérêts avec l'employeur. Ce faisant, en pensant protéger le salarié, on le considère comme un individu qui ne peut agir de manière responsable et dont la volonté est inévitablement alterée par le contrat de travail lui même. Pas sur que ce soit un service à rendre aux salariés que de les considérer comme aliénés par la moindre situation conflictuelle.

09/02/2012

Machines autodestructrices

Liaisons Sociales en fait le thème de son dernier numéro d'Entreprises et Carrières : les accord seniors génèrent de la frustration, notamment avec les entretiens de mi-carrières, entendez des plus de 45 ans, qui ne sont pas ou plus faits et lorsqu'ils le sont c'est à la stupéfaction des seniors à qui on les a proposés :

"Comment envisagez-vous votre avenir professionnel ?

- c'est plutôt à vous de me le dire...

- Ah mais non, je suis là pour vous écouter...

- Certes, mais ce n'est pas moi qui décide de mes missions, de mon évolution possible dans l'organisation, de mon parcours...

- Mais cet entretien a pour objectif de vous permettre d'exprimer vos souhaits...

- Et quelles sont les décisions qui pourraient en résulter...

- Ah ça ! ...."

Et voilà comment les entretiens de mi-carrière frustrent le bénéficiaire et le manager : rien à décider, rien à proposer, mais un entretien à tenir et la pression des RH pour les réaliser effectivement, d'ailleurs c'est écrit dans l'accord senior qu'il faut les faire, donc allez-y. Ou comment faire de la RH autodesctructrice.

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Jean Tinguely - Machine autodestructrice - 1960

En 1960, Tinguely créé un hommage à New-York : une machine autodestructrice, installée dans les jardins du Moma, préfigurant la ville carnassière qui s'autodétruit et renaît sans cesse, New-York la ville du mouvement perpétuel, illustration constante de la destruction  créatrice de Schumpeter.

Les ressources humaines ressemblent parfois à ces machines autodesctructrices, lorsqu'elles agissent selon leurs logiques, ou contraintes, propres, sans se soucier des utilisateurs. Ce qui donne : j'étais obligé de faire un accord senior, je l'ai fait, maintenant la suite n'est plus de mon ressort. Et ce discours peut être tenu sur l'égalité professionnelle hommes-femmes, sur la pénibilité, sur les travailleurs handicapés, sur la GPEC, etc. Les ressources humaines produisent du formel sur des obligations légales et ensuite, bon courage les managers mais surtout ne venez pas nous chercher, nous on a fait notre job, à vous de jouer maintenant. Et pas question de renacler, vous seriez des résistants au changement ou des rebelles à la contrainte qui s'impose à tous. Allez, après ça, expliquer aux managers que la fonction RH a de la valeur ajoutée ou qu'elle peut servir à autre chose que leur compliquer la vie. Ils vous répondront invariablement que le service Ressources Humaines ressemble pour eux à une machine autodestructrice et que le RH ferait mieux de s'abstenir d'agir, ce serait toujours ça de pris. Tout ceci n'empêche pas des RH de considérer qu'ayant rempli leur obligation, ils ont fait ce qu'il fallait. Et peu importe les conséquences sur les opérationnels. C'est à celà que l'on mesure la capacité d'autodestruction et que l'on voit les limites d'une politique qui consiste à faire de l'obligation légale l'alpha et l'oméga des politiques RH. Pour aboutir à ce résultat, autant laisser les acteurs sociaux se débrouiller entre eux, ce sera moins machinal et moins destructeur.

07/02/2012

Pas touche les congés !

La Cour de Justice des Communautés Européennes poursuit son travail d'harmonisation des droits des salariés au niveau européen. N'en déplaise à ceux qui ne voient dans l'Europe qu'une machine bureaucratique dont la boussole est constituée par la concurrence, le libre-échange et les marchés financiers, il se trouve quelques juges à  Luxembourg pour rappeler que l'Europe ce sont aussi des règles et garanties en matière sociale qui doivent bénéficier à tous les européens. Dans une affaire jugée le 24 janvier dernier (CJUE, aff. 282/10, Dominguez), la Cour rappelle que tout salarié doit bénéficier de 4 semaines de congés payés par an, et que ce droit n'est pas conditionné, dans les textes européens, par le fait d'avoir travaillé. Impossible donc de proratiser les congés payés d'un salarié qui, pendant la période de référence, a eu un congé maladie. Vous rentrez de congé ? prenez vos congés !

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Robert Doisneau - Congés payés

C'est déjà la CJUE qui avait rappelé que les congés maladie ne pouvaient faire perdre des jours de congés payés acquis et qu'il fallait les reporter au-delà de la période de maladie. Voici une nouvelle étape : les congés payés ne sont pas la contrepartie du travail mais un droit inaliénable auquel doit avoir accès tout salarié, quand bien même n'aurait-il pas travaillé. Il va donc falloir reparamétrer les logiciels de gestion de la paie et arrêter de proratiser les congés payés des salariés malades. Au passage, ceux qui persistent à proratiser les jours de RTT des salariés en forfait jour lorsqu'ils sont malades et que la Cour de cassation avait déjà rappelé à l'ordre, trouveront ici l'illustration que le droit a repos peut être indépendant du travail. Ce n'était pas ainsi que l'on raisonnait jusque-là, il va falloir s'y habituer.

03/02/2012

L'essai, c'est pas immédiat

Picasso disait : "Je ne cherche pas, je trouve". Quand on trouve directement, on ne fait pas d'essai. Si on ne fait pas d'essai, le résultat est immédiat. Pas de reprise, pas de remord, du définitif. C'est ainsi que Picasso nous offre une tête de taureau qui fait un lien direct entre les peintures pariétales de la préhistoire et la civilisation du Sud, en utilisant cet objet tant prisé dans le Nord : le vélo.

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Picasso - Tête de taureau - 1942

Mais lorsque l'on fait des essais, cela signifie que l'on prend le temps, que le premier jet ne sera pas le bon et que le définitif ne sera pas immédiat. C'est ce dont aurait du se souvenir cet employeur qui a recruté un agent de sécurité, a prévu une période d'essai d'un mois et a arrêté l'essai, et partant le contrat, au bout de deux jours. Au motif que deux jours étaient suffisants pour apprécier le comportement et la présentation du salarié. Trop court a jugé la Cour de cassation le 11 janvier dernier (Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-14.868) qui a alloué au salarié trop rapidement remercié 8 000 euros pour le préjudice subi. Il n'est pas possible de prévoir un mois pour tester le salarié et considérer que deux jours suffisent. On en concluera que lorsque la période d'essai est de trois mois renouvelable, difficile d'y mettre fin sans avoir laissé  le temps au salarié de prendre ses marques et d'avoir véritablement exercé sa fonction. Avec l'essai, il faut savoir prendre son temps.

25/01/2012

Le sens des perles

On connait la peinture de Gabrielle d'Estrée et sa soeur, la duchesse de Villars, attribuée à l'Ecole de Fontainebleau. Le pincement, délicat, du sein serait la manière de désigner la favorite du roi Henri IV. Une autre peinture présentant les deux soeurs, moins connue, existe au Musée des Beaux-arts à Lyon. Ici, ce n'est pas la main, mais le collier de perles qui désigne la favorite. Les perles symbole de féminité (comme Vénus elles sont nées de l'écume), mais aussi de luxe...et de luxure. Ce qui n'épuise pas la signification de la perle, parfois utilisée dans la peinture comme symbole de l'innocence, un moyen détournée de révéler l'âge de la dame ou encore le nombre de ses amants. Dans la peinture, il est rare que les perles ne parlent pas.

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Il n'y a pas que dans la peinture que les perles sont présentes. Les textes de loi en recèlent quelques unes qui ne manquent pas de nous éclairer sur les intentions de leurs auteurs. Suite à diverses affaires de gestion contestée de comités d'entreprises (EDF, Air France, SNCF...), surgit l'inévitable proposition de loi pour garantir la transparence et prévenir toute malversation. Objectif louable mais l'on oubliera pas, et en matière juridique plus qu'ailleurs, que le diable adore se glisser dans les détails. On peut ainsi lire dans le projet que l'employeur arrête les comptes avec le secrétaire. Si tel était le cas, le comité d'entreprise changerait de nature. Il deviendrait cogéré par l'employeur et la délégation salariale qui porteraient chacun responsabilité des comptes. Or, le comité d'entreprise est une instance dont la gestion n'est pas paritaire. La qualité de Président ne renvoie pas à celle d'un Président de société ou d'association. Il s'agit essentiellement d'un Président de séance chargé d'organiser et d'animer les réunions qu'il convoque. Pour le reste, et de jurisprudence constante, l'employeur ne peut participer à la gestion du CE. Comment arrêter les comptes et engager sa responsabilité si l'on ne gère pas ? nouvelle illustration de lois hâtives, en réaction à l'actualité, non préparées ou pire très mal préparées et s'affranchissant de tout principe. Ou comment mettre à mal le droit en faisant du mauvais droit. Sur ce point, on est curieux de voir la portée que pourrait avoir l'article suivant, le dernier du projet : "Le comité d'entreprise exerce exclusivement les attributions qu'il tient de la loi". Compte tenu du large périmètre de compétences défini par la loi en matière économique et sociale ou de gestion des activités culturelles et sociales, cette volonté restrictive devrait être à peu près totalement dépourvue d'effet. Deux perles en sept articles, c'est un bon score.

18/01/2012

Prends l'oseille et tire toi

C'est une nouvelle version du film de Woody Allen que vient de rejouer la Cour de cassation. Ou plutôt, c'est un remake qui a les faveurs d'un nombre toujours plus grand de salariés : tous ceux qui claquent la porte de l'entreprise et saisissent les prud'hommes pour demander la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Connue sous le nom de "prise d'acte", cette pratique s'analyse en droit soit comme une démission, si la faute présumée de l'employeur s'avère fictive ou  bénigne, soit comme un licenciement injustifié si effectivement l'entreprise n'a pas respecté les droits du salarié, l'obligeant ainsi à prendre l'initiative d'une rupture au final imputable à l'entreprise. La Cour de cassation, dans une décision du 11 janvier 2012, vient de se prononcer sur le sort de la clause de dédit-formation dans une telle circonstance.

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Une salariée quitte son employeur dans le cadre d'une prise d'acte, au motif que l'entreprise ne l'a pas positionnée au bon niveau dans la classification de la convention collective et saisit les prud'hommes pour obtenir des dommages et intérêts. L'employeur lui oppose une demande reconventionnelle au motif qu'ayant pris l'initiative de quitter l'entreprise elle doit payer une indemnité de dédit formation, en application d'une clause qui l'engageait à rester 5 ans dans l'entreprise. Impossible dit la Cour de cassation, dès lors que la prise d'acte est validée, ce qui est le cas en l'espèce, la rupture s'analyse en un licenciement et le dédit formation devient inapplicable.
Voici donc la meilleure parade pour un salarié tenu par une onéreuse clause de dédit formation : trouver la faute de l'employeur qui lui permettra de partir de l'entreprise après avoir suivi la formation, sans avoir bourse à délier et en prenant un peu d'oseille au passage pour rupture injustifiée. La clause de dédit s'en trouve donc réservée aux employeurs totalement vertueux. Mais si il y en a  !

Cass. soc. 11 Janvier 2012 - Dédit formation.pdf

16/01/2012

Charité ou solidarité, il faut choisir

Au départ, une belle histoire. Les collègues d'un salarié dont l'enfant est gravement malade, se mettent d'accord avec l'employeur pour lui donner des jours de repos payés en puisant dans leur compte épargne temps, leurs jours de récupération ou leurs congés. Ce qui permet au salarié d'accompagner les derniers mois de son enfant.

Mais l'histoire vient aux oreilles d'un député, qui voit sans doute l'occasion de faire sa BA et transforme l'expérience en proposition de loi qui vise à prévoir d'office que tous les CET pourront être utilisés sous forme mutualisée pour financer un congé long en cas de maladie grave d'un enfant. Et c'est ici que l'histoire dérape, car sous couvert d'émotion et de générosité, on ramène le législateur là où il n'a rien à faire au mépris de quelques principes.

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Marianne Elisa de Lamartine - Charité romaine

Premier principe, s'il s'agit de charité, nul besoin du législateur (David Douillet, signataire de la proposition de loi devrait être au courant). Elle relève de l'initiative de chacun ou bien elle change de nature. Si l'on créé une charité obligatoire, cela devient de la solidarité sous forme d'un régime social d'assurance.

Et c'est le second principe. Si l'on veut instaurer une rémunération d'un congé pour enfant malade, il faut améliorer la rémunération du congé de solidarité familiale, aujourd'hui très faiblement indemnisé. Et passer par le régime de sécurité sociale. Car sinon, on instaure une bien curieuse solidarité qui ne pourra s'exercer que dans les entreprises qui ont suffisamment de salariés et un accord instituant le CET.

Et le troisième principe c'est que la loi est générale et que la condition de sa qualité c'est d'être adossée à une réflexion générale. Nous subissons depuis plusieurs années cette détestable manière de faire des lois qui  part d'une situation singulière qui n'est passée qu'au filtre de l'émotion, de la précipitation et de l'avantage politique que l'on peut en tirer. Pas d'analyse de fond, pas de généralisation, pas de réflexion structurante référée à quelques principes. Bref, de la loi faite à la gribouille, la pire, celle qui dessert au final la cause qu'elle voudrait servir et qui en l'espèce vérifie l'adage selon lequel il faut toujours se méfier des bonnes intentions.

Proposition de loi - Congé mutualisé CET.pdf

13/12/2011

Le casse-tête du droit à la vie de famille

Le juge persiste et signe dans sa volonté de faire du droit à la vie personnelle et familiale un principe de droit du travail opposable aux employeurs. L'intention est louable, mais comme on le sait, sous la plage des bonnes intentions surgissent souvent les pavés de l'enfer. Illustration dans une affaire récente. Un salarié travaille selon des horaires un peu alambiqués mais essentiellement le matin. L'employeur, tel un agent des chemins de fer, lui annonce que ses horaires seront modifiés et prendront dorénavant place essentiellement l'après-midi. Le salarié considère qu'il ne s'agit plus de modifications de ses horaires mais de véritables bouleversements qui modifient son  contrat de travail. Il refuse donc. Saisi de la question le juge répond par un principe : "sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa  vie personnelle et  familiale ou à son droit au  repos, l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la  journée relève du  pouvoir de  direction de  l’employeur" (Cass. soc., 3 novembre 2011, 10-14.702).

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Lisa Carletta - Famille Beaupoil de Sauveboeuf - 2009

Voilà donc le salarié doté d'un droit à la vie personnelle et familiale et l'employeur sommé de le respecter. Rappelons tout de même que la vie personnelle et familiale du salarié ne peut fonder une décision de l'employeur, au risque de constituer une discrimination. L'entreprise est donc placée dans la difficile situation de tenir compte de ce qu'elle ne saurait connaître : "Cachez ce sein que je ne saurai voir"...mais montrez le s'il devait vous permettre d'en tirer avantage. Et au passage, l'employeur devra adopter des solutions différentes envers les salariés en considération de leur situation personnelle, déclarativement établie, au risque de ne plus maintenir l'égalité de traitement entre les salariés qui ont des personnes à charge, ceux qui n'en ont pas, ceux dont le conjoint travaille ou non, ceux qui n'ont pas de conjoint, etc. A ce stade, les angles coupants qui caractérisent les pavés des bonnes intentions produisent les effets que connaissent bien les coureurs de Paris-Roubaix : foutre en l'air en quelque seconde ce qui a été patiemment construit de longue date. La voie empruntée par les juges n'est pas plus sûre que la tranchée d'Aremberg. Il est à craindre que le juge qui s'y est égaré ne contribue à distribuer de la confusion dans les entreprises et en voulant tracer des frontières protectrices atteigne le paradoxal effet de les abolir. Bon courage en tous cas à ceux qui vont devoir traduire ces jurisprudences en décisions manageriales.

05/12/2011

Le temps de la décision

Le temps est une notion relative, vous venez d'en faire l'expérience avec le week-end passé et la semaine à venir. Si l'on peut toujours conférer une réalité objective à l'alternance des jours et des nuits, le rapport de chacun au temps demeure singulier. Le droit du travail n'ignore pas cette singularité et à ce titre il distingue le temps de l'employeur et celui du salarié. A l'employeur, investi du pouvoir de direction, il n'est guère consenti de temps de réflexion. Toute décision l'engage et comme il est dans sa nature de décider, il fallait réfléchir avant. Quasiment pas de possibilité de rétractation donc : inutile si vous avez expédié une lettre de licenciement le matin d'en expédier une seconde le soir pour annuler la précédente. Votre second courrier serait dépourvu d'effet. Tel n'est pas le cas du salarié pour lequel le temps de décision inclut celui de l'indécision.

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Jean Chanoir - Indécision - 2005

Après une discussion un peu vive avec son employeur, une salariée démissionne et quitte l'entreprise. Avant de se raviser et d'envoyer dans l'après-midi un courrier qui informe tout à la fois son employeur qu'elle est enceinte et qu'elle ne démissionne plus. L'employeur ne veut rien entendre et s'en tient au premier courrier rédigé sur le lieu de travail avant de partir. A tort : la démission sera requalifiée par les juges de licenciement nul du fait de l'état de grossesse.

La rétractation est un droit reconnu au salarié lorsque des circonstances particulières entourent sa première décision. Si l'entreprise refuse cette rétraction donnée très rapidement après la démission, elle sera considérée comme ayant elle la volonté de rompre le contrat. Rien ne sert donc, en cas de démission d'un salarié, de s'empresser d'en  prendre acte  pour éviter toute rétractation. Au contraire, l'empressement de l'entreprise pourrait paraître suspect. Il n'y a, de plus, aucune urgence à accuser réception d'une démission et l'on peut bien prendre une semaine avant de préciser au salarié la date de fin de son préavis, sauf à l'en dispenser. Qui veut sécuriser ses pratiques prendra donc soin de prendre son temps. Conseil de lundi matin.

Cass. soc. 26 Octobre 2011 - Démission rétractée.pdf

29/11/2011

Toujours pas de vide juridique

La formule a beau n'avoir aucune réalité, elle n'en demeure pas moins véhiculée dans une totale approximation y compris par des juristes inattentifs : "Il y a un vide juridique". Plutôt que d'envoyer les tenants de la formule vers l'Orient constater que la plénitude est une conséquence du vide, ce qui pourrait générer quelque perplexité dans un esprit cartésien, on se contentera d'une démonstration plus pragmatique. Que ceux qui pensent qu'ils sont confrontés à une vide juridique soumettent le problème à un juge. Celui-ci, tenu de dire la règle en toute circonstance sous peine de déni de justice, ne refusera jamais de juger et de fournir aux parties une solution, à défaut d'être la solution qu'elles attendaient. Si l'idée que tout acte de notre vie est susceptible de recevoir une qualification juridique peut avoir un côté Orwellien, on peut aisément se rassurer : la qualification juridique n'est pas la prescription juridique et notre liberté n'est pas en cause dans le fait que le droit soit en capacité de saisir chacun de nos actes. Ce n'est pas parce que nous savons dire à tout instant ce que fait la Lune que nous avons prise sur elle.

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Yves Klein - Le saut dans le vide - 1960

Dans une interview donnée à l'AEF, l'éminent professeur Jean-Emmanuel Ray, confirme l'absence de vide juridique dans un domaine, les nouvelles technologies, où le nombre d'hallucinés, c'est à dire ceux qui voient régulièrement des vides juridiques, demeure élevé. Ce n'est pas parce que le Code du travail ignore largement Internet que le juge est démuni. Et si après la lecture de l'entretien il restait encore quelques sceptiques, suggérons la méthode d'Yves Klein : le saut dans le vide est le meilleur moyen de retourner très vite à la réalité.

J-E Ray Pas de vide juridique en matière de TIC.pdf